Le conspirationnisme, maladie infantile des révoltés

Alors, Feu de prairie est-il une officine du Mossad manipulée en sous main par les réseaux occultes des Illuminatis, le tout dans un projet d’instaurer un nouvel ordre mondial pour le compte des hommes-lézards sionistes de la planète verte? 

Si vous superposez tous nos visuels des 666 derniers jours, obtiendrez-vous un portrait de l’héritier Bilderberg en tenue maçonnique?

Ou a-t-on simplement mieux à faire, en combattant au quotidien contre les oppressions et pour une autre culture, plutôt que de fantasmer sur des ennemis tout puissants contre lesquels on ne peut rien faire?

Ces questions sont d’actualité au vu de l’emprise des théories du complot dans le peuple, théories qui partent d’un constat juste (désinformation, oppression, détention des pouvoirs par une classe sociale, misère généralisée, impérialisme barbare) pour arriver à des conclusions fausses (« il faut mettre en avant la nation », « la république est une solution », « on ne peut rien faire », « les dictateurs opposés aux USA sont défendables », « les extrêmes se valent », « c’est la faute à tel ou tel peuple » etc), faisant basculer des révoltés sincères dans la mouvance réactionnaire.

L’anti­ca­pi­ta­lisme de l’extrême gauche, des alter­mon­dia­lis­tes et plus réc­emment des « Indignés » n’est le plus sou­vent qu’une cri­ti­que morale des excès du système : spé­cu­lation finan­cière, sub­ven­tions aux ban­ques qui jouent avec l’argent des petits épargnants, avan­ta­ges fis­caux accordés aux entre­pri­ses qui licen­cient, trusts qui ont un mono­pole jugé exces­sif, trans­na­tio­na­les qui délo­ca­lisent, pri­vilèges finan­ciers des gros action­nai­res, stock-options et salai­res à 6 chif­fres, etc.

Or, il est tout aussi absurde aujourd’hui de lutter pour un retour à des peti­tes entre­pri­ses loca­les autar­ci­ques (modèle écolo, liber­taire à la sauce proud­ho­nienne ou natio­na­liste-sou­ve­rai­niste de gauche), que pour la création de règles ins­tau­rant un com­merce inter­na­tio­nal « équi­table » ou « limi­tant le pou­voir » des entre­pri­ses trans­na­tio­na­les (modèle alter­mon­dia­liste), sans abat­tre le capi­ta­lisme à l’éch­elle de la planète.

L’anti­ca­pi­ta­lisme d’extrême droite est de même nature. Jamais il ne s’atta­que à la notion même de sala­riat, aux fon­de­ments de la hiér­archie, à l’argent et à la mon­naie comme prin­cipe de l’éch­ange, et, bien entendu, pas non plus à la pro­priété privée des moyens de pro­duc­tion. C’est ainsi que Le Pen dén­once « le capi­tal ano­nyme et vaga­bond, le com­plot mon­dia­liste (…) visant à détr­uire les nations et les struc­tu­res de l’ordre natu­rel (…), la domi­na­tion com­plète de toute la planète dans tous les domai­nes : finan­ciers, éco­no­miques, juri­di­ques, voire reli­gieux ».

Depuis le judéo­cide, on a ten­dance à croire que l’antisé­mit­isme nazi n’aurait été que d’ordre racial. On oublie qu’il était aussi d’ordre social et éco­no­mique (il avait pour pre­mière fonc­tion d’éli­miner phy­si­que­ment ou au moins d’empri­son­ner tous les mili­tants de gauche et d’extrême gauche, ainsi que les syn­di­ca­lis­tes, sous le prét­exte fan­tai­siste que le mou­ve­ment ouvrier était sous « domi­na­tion juive » – en réalité parce que la domi­na­tion de la bour­geoi­sie alle­mande était menacée, ou en tout cas ingé­rable dans les années 1930, si l’on vou­lait main­te­nir un système démoc­ra­tique-par­le­men­taire).

C’est cet antisé­mit­isme-là qui a connu la plus forte des­cen­dance à l’extrême droite : en effet, le ZOG (« Gouvernement occupé par les sio­nis­tes ») sym­bo­lise, aux yeux de l’extrême droite, non seu­le­ment le gou­ver­ne­ment amé­ricain mais aussi toutes les gran­des ins­ti­tu­tions inter­na­tio­na­les (FMI, OMC, Banque mon­diale, ONU, OTAN). Cette forme d’antisé­mit­isme rejoint cer­tai­nes formes d’anti­sio­nisme qui dén­oncent l’omni­prés­ence et l’omni­puis­sance du « lobby sio­niste », du lobby « amé­ri­cano-sio­niste », etc.

L’antisé­mit­isme social (celui que l’on trouve sous la plume de nom­breux socia­lis­tes ou anar­chis­tes du XIXe ou du XXe siècle) s’est réveillé à gauche, avec la mise en avant du caractère exem­plaire de l’escro­que­rie de Bernard Madoff, par exem­ple, ou les expli­ca­tions de cer­tains alter­mon­dia­lis­tes sur les causes de la crise éco­no­mique mon­diale.

De l’anti­ca­pi­ta­lisme à l’antisé­mit­isme

Comme l’expli­quaient déjà les cama­ra­des du groupe néerl­andais De Fabel van de ille­gaal en 1999 :

« Une fois que l’on réussit à séparer idéo­lo­giq­uement le “dét­es­table capi­tal inter­na­tio­nal” du reste du capi­ta­lisme, on peut faci­le­ment relier ce capi­tal inter­na­tio­nal à “l’Ennemi”, par exem­ple un État étr­anger ou bien un groupe spé­ci­fique de per­son­nes. En pour­sui­vant ce type de rai­son­ne­ment, la cri­ti­que du système peut abou­tir à une idée absurde : un petit groupe d’indi­vi­dus hos­ti­les contrôlerait com­plè­tement notre vie. Historiquement, ce genre de per­cep­tion mène géné­ra­lement à l’antisémi-tisme.

Les antisé­mites, sur­tout en Europe, asso­cient tra­di­tion­nel­le­ment la dén­onc­iation du “capi­tal inter­na­tio­nal” à celle des États-Unis et des “Juifs”. Selon ce mode de pensée, le “capi­tal inter­na­tio­nal” serait entre les mains de Juifs qui com­plo­te­raient pour contrôler le monde. Ce “capi­tal juif” opé­rerait sur­tout à partir de New York. L’extrême droite et les ten­dan­ces natio­na­lis­tes recy­clent depuis long­temps ce genre de cli­chés. Ils cla­ment que “la patrie” ou “l’Europe” serait menacée par – au choix selon le public auquel ils s’adres­sent – “le capi­tal inter­na­tio­nal”, “les mul­ti­na­tio­na­les amé­ric­aines” ou “les Juifs”. Du point de vue de l’idéo­logie qui se cache der­rière, tous ces termes sont équi­valents.

Enfin, cri­ti­quer le libre-éch­ange ne conduit pas forcément à l’antisé­mit­isme, mais ces deux éléments s’accou­plent faci­le­ment. (…) Celui qui sépare idéo­lo­giq­uement le “capi­tal inter­na­tio­nal” du “capi­tal local” n’est donc pas forcément antisé­mite, mais le rai­son­ne­ment sous-jacent peut poten­tiel­le­ment l’être. L’his­toire nous montre à quel point l’un engen­dre faci­le­ment l’autre. Ce genre d’antisé­mit­isme se retrouve éga­lement dans la Nouvelle Droite. Il y a quel­que temps, Ruter écrivait dans un arti­cle concer­nant la mon­dia­li­sa­tion : “celui qui fixe et contrôle les crédits dirige le dével­op­pement éco­no­mique”. Ce n’est cer­tai­ne­ment pas par hasard s’il cite, dans le même texte, Amschel Meyer Rothschild qui était juif et aurait dit : “Laissez-moi contrôler les cours des mon­naies et peu m’impor­tera qui fait les lois.”

« Au début de la cam­pa­gne anti-AMI aux Pays-Bas, en automne 1997, l’accent fut for­te­ment mis sur le fait qu’il s’agis­sait de négoc­iations secrètes et l’intérêt se porta rapi­de­ment sur la per­son­na­lité de cer­tains diri­geants. La cam­pa­gne anti-AMI parla d’un “coup d’État mul­ti­na­tio-nal” et d’une “prise de pou­voir secrète”. Cette prés­en­tation des faits était un peu exagérée. (…) Les adep­tes des théories du com­plot ont fréqu­emment assisté aux réunions de la cam­pa­gne. En août 1998, durant la réunion de Globalize Resistance à Genève, une per­sonne voulut lire les écrits de l’antisé­mite alle­mand Van Helsing. Le Néerlandais Kühles, “théo­ricien des com­plots”, s’est intéressé à peu près en même temps à la cam­pa­gne anti-AMI aux Pays-Bas et eut l’occa­sion de cra­cher son venin antisé­mite dans des réunions du mou­ve­ment anar­chiste à Leiden. »

L’extrême droite s’est en partie déb­arrassé de son antisé­mit­isme racial, pour des rai­sons tac­ti­ques, afin d’éviter des pour­sui­tes judi­ciai­res comme celles qui ont frappé Le Pen, mais aussi parce que l’antisé­mit­isme social est aujourd’hui beau­coup plus payant poli­ti­que­ment que le vieil antisé­mit­isme racial.

Extrait du n° 36/37 de Ni patrie ni fron­tières : « Extrême gauche, extrême droite : inven­taire de la confu­sion » – Blog du CAL 34

Cet article, publié dans Analyse, Humour, est tagué , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

3 commentaires pour Le conspirationnisme, maladie infantile des révoltés

  1. AntiNazi dit :

    Jsuis d’accord ac presque tout tres bon article juste tu parles de qui en disant « l’extreme gauche » dans « anticapitalisme d’extreme gauche » ?

  2. Sara dit :

    Ce n’est-ce pas reptilian…

Laisser un commentaire