Lys Noir – Encore un effort pour être subversif

Nous avions récemment publié un article intitulé « Avec des amis comme cela, pas besoin d’ennemis » : usages et mésusages du « fake » dans les milieux politiques contestataires », qui causait entre autre du journal gratuit Lys Noir, un papier se revendiquant « anarcho-royaliste ». Avec un nom comme ça, difficile de se prendre au sérieux : notre article a donc été inclus dans leur dernier journal, tiré selon ses rédacteurs à 10 000 exemplaires. Bon.

Déjà, remercions les pour publicité. L’équipe de Feu de prairie trouve cela assez cool – quoique masochiste – d’être mis en avant dans un média de ce type, puisque après tout notre projet de société inclut un traitement très désagréable de tous les militants réactionnaires, dont les lillois de Lys Noir font plus ou moins partie.

Mais alors, qu’est-ce que ce Lys Noir? C’est un projet plutôt amusant et pourtant très révélateur de certaines tendances de fond.

Passons rapidement sur l’aspect provocateur. Le samizdat qui se voudrait clandestin critique durement et par le menu tout un tas de valeurs, concepts, objets, personnes et phénomènes associés au « monde moderne » (a-t-il un sens?). Il se place en grand subversif prenant le meilleur de toutes les tendances, bref l’ego-trip est assez poussé puisque l’on a affaire à des gens qui pensent sûrement sincèrement renouveler la politique contestataire en mixant les références et en chargeant à la fois le Capital, le Spectacle, et le Système… Bref, c’est le dernier carré de la France éternelle, tout ça, tout ça.

Le Lys Noir oublie peut-être un peu vite que l’histoire du mouvement révolutionnaire a vu se développer dans son ombre tout un tas de groupuscules et partis naviguant entre les « deux extrêmes » et permettant de fait à la réaction de récupérer des militants sincères pour les faire passer à l’ennemi. Certains ont réussi, comme les fascistes italiens. La plupart ont heureusement échoué (le Front Noir allemand, les nationaux-anarchistes américains, les nationaux-syndicalistes espagnols, les nazimaoïstes italiens, les nazbols russes, etc, la liste des paumés est interminable). On connaît tous des gens un peu mal dans leur peau qui cherchent à se créer une identité en se plaçant en rupture avec tous les codes et qui finissent dans ces mouvements. Certains font du paintball national-bolchévique en Provence. D’autres montent un journal anarcho-royaliste. D’un point de vue politique on peut les analyser comme une frange « gauche » du fascisme, qui lui donne un aspect social, anticapitaliste. Son destin tracé est de se faire liquider par la frange droite plus ouvertement vendue à la bourgeoisie (que ce soit les phalangistes ou les SA, en général l’échappée socialisante s’est finit six pieds sous terre). Rien de nouveau sous les cocotiers.

Bref – il n’y a pas de progrès social dans le national. Ceux qui ont cru le contraire dans une perspective révolutionnaire ont payé de leur sang le prix de leur connerie.

Alors, qu’est-ce qui peut pousser Lys Noir à s’intéresser à notre point de vue ? Une certaine conception de l’esthétique peut être. Plus sûrement, une fascination pour les révolutionnaires « d’extrême-gauche » (non, nous n’apprécions pas ce terme), qui sont allés jusqu’au bout de leurs idées, eux. Pour notre part, nous trouvons toutes les contradictions qui parcourent Lys Noir très amusantes. Les médias sociaux sont fustigés au nom de la lutte contre le Système tout en tentant de créer le buzz, avec notamment une magnifique vidéo de diffusion du journal, malheureusement bien peu vue. On a beau nous aussi beaucoup aimer les Dropkick Murphys, il y a quand même un moment où cette mode consistant à se mettre en scène pour prouver au monde son existence tourne au comique – façon identitaires, Zentropa ou… émission de télé-spectacle. Ce ne sont pourtant pas des actions politiques bien subversives. Voilà les nationaux arrivés à un point où ils pourraient pisser dans la neige pour écrire l’adresse de leur site et se filmer en le faisant. Bien sûr cela donne un côté activiste qui permet de recruter, c’est tout le problème, mais peut on vraiment croire que le « Système » (qui est il, mystère) tremble à chaque autocollant posé?

C’est une autre ligne de démarcation définitive entre eux et nous. Nous n’avons pas de prétention particulière. Pas de goût pour la provocation outrancière. Notre existence et notre activité se suffisent à elles-mêmes. La diffusion de notre projet de société et le travail qu’il implique sont bien assez importants. Au delà des apparences c’est une approche radicalement différente des royalistes se pensant subversifs mais restant dans la « pose », donc finalement dans la réappropriation basique de tout ce que la culture bourgeoise semble rejeter (que ce soit Proudhon, Coupat, Orban ou les pasdarans). Cela se passe de toute analyse rationnelle, économique, sociale. L’étape du buzz éphémère ne peut être dépassée.

Au final, Lys Noir est largement influencé par cette culture qu’il prétend combattre. Les symboles changent mais les idées restent les mêmes. Idée selon laquelle tous les courants politiques se valent (tous les courants libéraux selon les médias dominants, tous les courants anti-libéraux pour Lys Noir). Critique dandy du peuple et pourtant fascination morbide pour les révoltes qu’il mène. Défense du chauvinisme français et complaintes à propos du gauchisme, des syndicats, etc. Culte du buzz et de l’esthétisation. Personnalisation de la politique. Nous pourrions ajouter de nombreux autres exemples de cet embourbement.

Les « anarcho-royalistes » honnêtes se souviendront des dilemmes de Mai 68 et choisiront le bon côté des barricades en retrouvant un certain bon sens moins français, plus prolétaire. Mais la grosse masse, rattrapée par ses intérêts de classe, abandonnera plutôt son folklore anarchiste pour entrer sagement dans les rangs du conservatisme ou de mouvements réactionnaires plus classiques.

Voilà bien la limite. Sous des aspects plus classiques, plus innocents, Feu de prairie porte comme l’ensemble de notre courant politique un projet de société bien plus subversif, qui défend une véritable rupture avec le système capitaliste et sa culture, sans pour autant nier la part du déterminisme sociologique et l’influence de la culture contemporaine dans le processus. Nous nous plaçons donc du côté du futur, et la roue de l’Histoire ne tourne que dans un seul sens.

D.

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9 commentaires pour Lys Noir – Encore un effort pour être subversif

  1. Pancho Villa dit :

    Assez marrant, dans leur dernière édition mise en ligne sur leur site, ces « anarcho-royalistes » annoncent en une de leur journal un tirage à 9 000 exemplaire et dans un encart de la page 4 le tirage passe à 29 000 exemplaires!
    Dans le même encart de la page 4, le Lys Noir se présente comme le journal des « Cellules solidaires anarcho-royalistes – CSAR ». Le sigle CSAR est une référence à la Cagoule, groupe terroriste d’extrême droite des années 30 fondé par des anciens de l’Action Française, dont le vrai nom était « Comité secret d’action révolutionnaire  » (CSAR)

    • feudeprairie dit :

      Bien vu! Un bon point pour Pancho Villa. Il est en effet probable que ces « friendly fascists » aient repris le sigle de la Cagoule à dessein. Quant au tirage de leur journal, ma fois… Si il ne leur coûte vraiment que 1800 euros (des gens ne savent décidément pas quoi faire de leur thune), espérons qu’ils auront le bon goût d’y inclure une grille de sudoku: tant qu’à frustrer les travailleurs lillois de leurs journaux gratuits, qu’ils leur laissent le seul intérêt de ces machins.
      Ça doit être assez chiant de chercher son « 20 minutes » et de tomber à la place sur un pamphlet contre l’influence pernicieuse du football américain en Limousin!

      Heureusement que les rédacteurs restent modestes: « la formule du samizdat nous va très bien. Celui-ci illustre déjà notre dissidence radicale ». Sans commentaires. Ah si, un: on se cotise pour leur offrir un t-shirt Che Guevara?

  2. FuckNazis dit :

    Muahahahaha! De vrais petits plaisantins 😀 non mais « anarcho-royalisme » combien de connerie les reactionnaires ajouteront il derriere « anarcho » pour essayer de se camoufler devant le peuple ? On avait deja les « anarcho-nationalistes » des NA, les « anarcho-liberaux » flirtant avec le milieu libertarien et maintenant voila des « anarcho-royalistes » ce qui n’a strictement aucun sens, les anarchistes etant contre l’autorite d’un gouvernement, et les royalistes pour un gouvernement fort. Visiblement la creation de petit mouvements reactionnaires se voulant hors des « clivages droite/gauche » et « regroupant les points positifs de chacun » (Egalite & Reconciliation, le Lys Noir, 3eme voie, et meme par un certain cote le Parti Antisionniste et les Nationaux-Bolcheviques pour ne citer que les plus connus -ou moins inconnu-) ont tendance a se multiplier ces derniers temps, par la meme occasion multipliant leur inutilite. Desesperant. A quand une vraie revolution sociale en France pour renverser l’ordre etabli ? Bientot j’espere vu les evenements en Europe… Et a ce moment la m’est avis que ces rigolos-la ne seront pas dans la partie du cote revolutionnaire ou en seront vite vires, du moins je l’espere.

  3. razi golan dit :

    Si j’ai bien compris, ces gens-là ont publié quelque chose de vous. Il aurait été fair-play de laisser un lien vers leur site (ou n’en ont-ils pas? ou n’ai-je pas tout compris?). Intéressant en tout cas de voir comme certains ne savent pas choisir et finissent par tout mélanger. A psychanalyser peut-être ? Comme ils ne doivent pas être bien nombreux le psychanalyste pourrait leur faire un tarif groupe ?

    • feudeprairie dit :

      Leur journal est en effet disponible en ligne, les gens intéressés le trouveront sur google; nous n’avons pas mis de lien car nous appliquons une politique assez restrictive à ce niveau, nous ne linkons que les sites clairement étiquetés progressistes. De leur côté ils ont parlé de FdP sans indiquer non plus de lien (ce qui est normal dans un journal destiné à être imprimé d’ailleurs).

  4. hugues capet dit :

    Le numéro d’Avril est en ligne : la nostalgie des coup d’états nègres et rigolos.

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