Les Jeunes-Grecques : Sappho, Leontion et Hipparchia (nos maîtresses 2)

Dans la Grèce antique, philosophes et politiques forment une sainte alliance pour exclure les femmes de la vie intellectuelle et de la vie publique. Ce fait universellement connu ne doit cependant pas masquer les résistances disparates, incarnées par des poétesses et des philosophes remarquables. Nous parlerons particulièrement de trois d’entre elles : Sappho, Leontion et Hipparchia. Nous pourrions dire, non sans prudence, que chacune symbolise un combat ; elles représentent une percée au sein de l’idéologie dominante de l’époque. Sappho « défend » les droits de l’amour et de l’homosexualité ; Leontion illustre l’égalitarisme épicurien ; enfin, Hipparchia lutte contre le despotisme de la famille et les conventions morales.

Sappho : la poésie contre les normes sexuelles et amoureuses 

Sappho est une poétesse qui a vécu à Mytilène, sur l’île de Lesbos à la transition entre les VIIe et VIe siècles av. J.-C. Ses thèmes sont essentiellement lyriques : elle parle de l’amour, du désir, de son enfant. Elle évoque l’homosexualité féminine, mais semble ne pas aimer exclusivement les femmes. On sait peu de choses sur sa vie, et il nous reste seulement quelques poèmes écrits de sa main. En revanche, son nom a donné l’adjectif « sapphique », et son lieu de vie, Lesbos, a donné le terme de « lesbianisme », deux mots qui sont entrés dans le langage courant et qui désignent l’homosexualité féminine. Ce qu’il y a de vraiment subversif dans son œuvre, c’est qu’elle n’est pas hétéronormée, qu’elle ne privilégie aucun modèle de couple et d’orientation sexuelle. Ce ne sera pas le cas de Platon, qui valorisera l’amour viril entre hommes dans le Banquet et le Phèdre, contre l’amour qui implique des femmes, que cet amour soit d’ailleurs hétérosexuel ou lesbien.

On lira avec bonheur les Odes et fragments de Sappho.

Leontion : le Jardin et le contrat social

Leontion est une philosophe, femme de Métrodore de Lampsaque et élève d’Épicure (341-270). Encore une fois, on sait peu de choses sur sa vie. La postérité chrétienne s’est acharnée à masquer ce qu’elle considérait comme impur, et à en salir la réputation. Ainsi, il a été dit que Leontion était une « hétaïre », c’est-à-dire une courtisane et une prostituée. En réalité, elle fréquentait le fameux Jardin d’Épicure, seule école philosophique de l’Antiquité grecque qui admettait les gens de toute condition sociale et de tout sexe, femmes, esclaves. Là encore, nous sommes loin du sexisme inégalitaire d’un Platon qui disait que les femmes sont des hommes dégénérés (Timée), tout comme de l’idéologie d’Aristote qui prétendait légitimer l’esclavage au nom d’une hiérarchie naturelle (Politiques). Sans parler du virilisme de la philosophie stoïcienne. Tout au contraire, l’épicurisme est une des premières doctrines égalitaristes et contractualistes, et ce n’est pas pour rien qu’il s’inscrit dans la tradition matérialiste. Épicure écrit en effet la chose suivante : « La justice n’était pas quelque chose en soi, mais dans les groupements des uns avec les autres, dans quelque lieu que ce fût, à chaque fois, c’était un accord sur le fait de ne pas causer de tort et de ne pas en subir » (Maximes capitales, XXXIII). Il est ainsi l’un des seuls philosophes de l’époque à affirmer que la politique trouve son origine dans les conventions et les rapports sociaux, et non dans une quelconque nature qui assignerait à chacun la place qu’il doit occuper dans la Cité. C’est la première forme connue de contrat social.

On lira avec profit les Maximes capitales d’Épicure, à défaut d’œuvre signée de Leontion.

Hipparchia : l’amour et la sophistique comme facteurs de transgression

Diogène le Cynique

Hipparchia est une jeune amoureuse qui, au nom de ses sentiments pour le philosophe Cratès de Thèbes, représentant de l’école cynique, menace sa famille de se suicider si on l’oblige à se marier avec l’un de ses riches et nobles prétendants. Sa famille cède et, en se mariant avec Cratès, Hipparchia devient à son tour une philosophe cynique. Le cynisme est également une philosophie, avec l’épicurisme, qui s’inscrit dans la vie concrète et qui remet en cause les idéologies dominantes. Hipparchia lui donne un sens tout particulier : comme l’Antigone de Sophocle, qui brave la loi au nom de son amour pour son frère (elle l’enterre selon les rites traditionnels alors que leur père Créon avait menacé de la peine de mort quiconque le ferait), elle transgresse la tyrannie familiale, en ne craignant pas la mort, au nom de son amour pour Cratès, son futur mari. Cependant, Hipparchia ne s’arrête pas là : par sa pratique, elle critique les normes sociales et morales, en faisant par exemple l’amour avec son mari sur la place publique. En outre, elle oppose à Théodore l’Athée le sophisme suivant : « Tout ce que Théodore peut faire sans s’attirer de reproche, Hipparchia le peut aussi, sans mériter qu’on la blâme. Or si Théodore se frappe lui-même, il ne fera injustice à personne ; ainsi, si Hipparchia frappe Théodore, elle n’en commettra envers qui que ce soit. » Ce dernier lui répond de façon sexiste : « Qui est cette femme qui a laissé sa navette auprès de sa toile ? » Et Hipparchia rétorque : « C’est moi, Théodore ; mais trouvez-vous que j’aie pris un mauvais parti d’employer à m’instruire le temps que j’aurais perdu à faire de la toile ? » (Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, livre VI : les cyniques).

On lira sur le sujet Cynismes, de Michel Onfray.

F. T.

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2 commentaires pour Les Jeunes-Grecques : Sappho, Leontion et Hipparchia (nos maîtresses 2)

  1. LETHIERRY dit :

    je coordonne un livre a a paraitre au petit pavé sur HIPPARCHIA MON AMOUR ( a la suite de
    DIOGENE NOM D UN CHIEN):feministes,hellenistes,poetes,philosophes,dessinateurs peuvent y participer.Mon telephone est:0478273302

  2. lethierry dit :

    je signla ,en decembre notre livre HIPPARCHIA MON AMOUR
    suite a DIOGENE NOM D UN CHIEN 2013
    les deux chez « petit pavé »(revue :delits d’encre)

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