Février 1934

Front populaire

Le 6 février 1934, suite à l’affaire Stavinsky et au limogeage du préfet Jean Chiappe, proche de l’extrême droite, les ligues d’extrême droite (Action française, jeunesse patriote, etc), les anciens combattants (les Croix de Feu nationalistes, l’UNC de droite et l’ARAC satellite du PCF) défilent dans les rues de Paris. Le PCF appela les ouvriers à manifester contre le gouvernement, contre la sociale démocratie et contre les ligues fascistes.

Les mots d’ordre anti-parlementaires, contre la République (la Gueuse), contre les voyous (du gouvernement), en soutien à Chiappe, mais aussi contre les Francs-Maçons, les juifs et les métèques ont permis de rassembler sur des bases très larges des organisations rivales. Leur but est de prendre d’assaut l’Assemblée Nationale. Des manifestants, rejoints par l’UNC, Solidarité française et l’ARAC, font basculer cette nuit dans l’émeute, les combats de rue et les incendies afin d’aller occuper l’Assemblée. On compte plusieurs centaines de blessés et plus d’une dizaine de morts.

Malgré l’émeute, le coup de force des ligues, sans objectif clair et sans plan défini, est un échec. Ce défilé des extrêmes droites devait amener à une réponse de la gauche et des communistes. C’est ainsi que le 9 février, le PCF, renvoyant dos à dos extrême droite et sociaux-démocrates, appela seul sur des mots d’ordre antifascistes, sociaux et contre la sociale-démocratie.

Des milliers de manifestants, aussi bien socialistes que communistes, descendirent dans les rues. On compte 6 mort et plusieurs centaines de blessés suite aux affrontement avec la police et la mise en place de barricades. La CGT appela à une journée de grève nationale le 12 février contre la menace fasciste et pour la défense des libertés publiques. Le parti socialiste relaya l’appel et le PCF et la CGTU finirent par s’y rallier du fait du mécontentement de la base. Dans toutes les villes la grève fut un succès et les cortèges socialistes et communistes finirent souvent par se rejoindre au cri de « Unité ! ».

Ce rapprochement des communistes et des socialistes préfigurait le Front Populaire de 1936, dont l’arrivée au pouvoir se fit sur fond de grève générale. La pression continue des ouvriers obligea le gouvernement à adopter des mesures sociales radicales afin de désamorcer le potentiel révolutionnaire de cette période. Le marasme économique d’une crise qui n’en finissait pas depuis son apparition en 1929 aux Etats-Unis et dont les répercussions mirent quelques années avant de se faire sentir en France, conduisit le Front Populaire à la démission en 1938, l’opposition venant principalement d’extrême droite.

La France ne put parvenir à sortir de cette crise que grâce à son économie de guerre. Suite à la défaite militaire en 1940, l’Assemblée Nationale fit voter les pleins pouvoir à Pétain qui engagea le pays sur la voie de la collaboration avec le régime nazi. La majorité des députés socialistes ont voté pour les pleins pouvoirs et donc pour la prise de pouvoir du fascisme, confirmant ainsi la position, qualifiée de sectaire, du Parti Communiste qui refusait tout rapprochement avec la sociale-démocratie 6 ans plus tôt.

Pour résumer : « Ils voulaient le réformisme pour éviter le fascisme et la guerre, ils eurent les trois ».

La comparaison entre le 6 février 1934 et le mouvement interclassiste des bonnets rouges, des manifs pour tous et du jour de colère, ne peut être évitée. Elle peut au mieux être nuancée. Tous ces mouvements se noient dans des dénonciations stériles, populistes et/ou réactionnaires. Des moments de violences ont été tentés et prémédités (manif pour tous qui cherche à aller sur les Champs-Elysée, destruction des radars et des portiques écotaxes, ou encore le coup de force contre la police et les journalistes pour jour de colère). Nous ne refusons pas, par une position moraliste et idéaliste, la violence. Cependant nous savons qu’elle est le résultat d’un rapport de force considéré suffisant et d’une confiance en soi importante. Ces « tours de chauffe » des mouvements d’extrême droite et/ou petits-bourgeois leur permet de tester leur force et leur capacité à imposer leur vision des choses.

Le recul du gouvernement social-démocrate sur la PMA ou la suppression du terme « genre » dans les circulaires ministérielles démontrent la puissance acquise par l’extrême et l’incapacité du gouvernement à essayer de lutter contre. Ceci n’est pas un scoop. Le gouvernement ne cesse de mener une politique d’immigration extrêmement dure et ne cesse de réprimer les embryons de mouvements sociaux. La dénonciation des sketchs racistes de Dieudonné ne permet que d’accréditer la position victimaire de la fachosphère se battant pour sa conception de la liberté d’expression. C’est-à-dire sa liberté à dire ce qu’elle veut et donc à se propager librement. Le gouvernement est devenu l’allié objectif de l’extrême droite qu’il prétend combattre tout en se vantant d’expulser plus d’étrangers que l’UMP.

Nous devons alors prendre la pleine mesure des enseignements du passé.

Refuser toute accointance entre l’extrême droite et les idéologues dits de gauche est une nécessité absolue, pas du sectarisme. Le refus de toute lutte commune avec la sociale-démocratie est une nécessité absolue. Il n’y a aucune alliance possible avec les alliés objectifs du fascisme, de la contre-révolution. Les délires patriotiques voire nationalistes du réformisme « radical » doivent être combattus à tout prix. Comme doit être combattu toute idée de réformisme, qui ne peut mener les travailleurs qu’à la catastrophe. La seule lutte efficace contre le fascisme est la révolution sociale, articulée autour des problématiques de l’hétéropatriarcat et de la race (prise comme construction sociale). C’est-à-dire une révolution luttant contre tous les systèmes de domination et la libération de tous les être humains quelle que soit la classe, la race, le genre ou la sexualité. Cette lutte se heurte naturellement aux courants conservateurs, réactionnaires et fascistes. La lutte antifasciste est donc indispensable.

L’antifascisme, s’il veut être efficace, ne peut donc se réduire à la lutte contre le fascisme et doit absolument prendre en considération la question de la lutte des travailleurs pour leur émancipation. Il ne peut y avoir de séparation entre la révolution et antifascisme, à moins de tomber dans le piège du réformisme, aussi radical soit-il. Il ne doit pas non plus refuser de combattre les fascistes là où ils se trouvent, dans la rue. Il ne peut pas non plus se cacher derrière une position moraliste en refusant de voir le racisme, le sexisme, l’homophobie, la transphobie, le validisme, le classisme ou l’agisme là où ils se trouvent, c’est-à-dire dans nos propres organisations dites révolutionnaires. Il ne peut pas se contenter de commémorer les grandes luttes passées sans se confronter à la réalité actuelle qui nécessite plus que jamais un antifascisme radical et révolutionnaire.

G. pour Feu de Prairie

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2 commentaires pour Février 1934

  1. SLP Dieub ha Sokialour dit :

    Ah pour vous les Bonnets rouges est un mouvement faf… ça y est c’est tranché ? 😦

    • feudeprairie dit :

      Pas « pour nous », nous avons d’ailleurs publié sur notre facebook d’autres articles donnant des points de vue différents. Mais nous laissons le débat ouvert, notamment avec cet article écrit par un camarade.

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